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Devant la multiplicité des activités sportives de Baudouin Rossius qui assura la Vice-Présidence de l’UAF, responsable de la marche de 1992 à 2005, on ne peut être qu’admiratif.
Rien qu’en 31 ans, soixante aigles d’or marche et vingt aigles d’or natation, sont à son actif. Il a aussi des brevets et randonnées cyclotouristes. Réalisés sous le signe toujours de l’Union des Audax Français, les 144.321 kilomètres totalisés intègrent des allures libre, audax, de nombreux itinéraires parcourus avec Henri Legrand ou seul, de façon archaïque, puisque à pied. Je n’oublie pas bien sûr Jean-Gilles Boussiquet avec qui il a rallié Tombouctou à Pont l’Abbé d’Arnout en 1989 ; une aventure de 3.800 km. J’y reviendrai plus loin. A elles seules, les 850 distances de 100 km et plus (audax et libres), suffisent en vue d’une homologation par le Livre du Guiness Book des Records.
Au 50 km UAF de Livry-Gargan, en date du 15 août 2009, Baudouin me remet son « palmarès », malgré qu’il n’aime pas ce mot. Je le lui avais demandé à plusieurs reprises, en vue d’en faire la publication dans notre revue. Cette belle preuve d’amitié qu’il me témoigne me touche bigrement. Quel plaisir ! Enfin ! Je possède la pépite. Mille mercis. Suivant son bonhomme de chemin, ce qu’il a réalisé est époustouflant et mérite d’être connu de tous.
Des suites ininterrompues de dates. Des dizaines de milliers de kilomètres s’étirent sur quatre pages.
- Baudouin a commencé à marcher avec le R.I.F. (Randonneurs d’Ile de France – Paris) le 27 novembre 1977. Il avait quarante sept ans. Jusqu’en 1982, il couvrira 4.570 kilomètres avec ce club affilié à la FFRP. Il découvre alors les marches dites « libre », plus sportives, et s’y propulse. Paris-Mantes de 1978 à 1981, 1980 : les 100 km de Millau, Migennes. 1986 les 100 km de Volgelgrun (B) en 14H01, le 100 km de Steenverck (1987, 1994 et 1998) qu’il fera systématiquement avant d’entamer l’Euraudax de 200 km démarrant le lendemain, à l’aube. Puis le 100 km de Chatelet (B). Ensuite, il enchaînera avec le 150 km de l’Europe – Nancy Strasbourg les années 1987, 1990 et 1991. Houffalize-Plombières (B) 110 km ; le 142 km de Bossée (Indre-et-Loire) et d’autres distances.
En mars 1981, ces épreuves ne lui suffisent pas. Il se dirige vers la marche audax, sans limite. Pas de vedette. Tout le monde est sur un pied d’égalité. On se régale tous pareil. A chacun de s’essayer dans une distance qu’il ne se croyait pas capable d’assumer. Une fois lancé, on ne s’arrête plus. Tel est son principe qu’il s’attachera de suivre fidèlement. Il est vite apparu comme indispensable. Les clubs se le seraient presque disputés, ravis de voir le meilleur participer à leur brevet. Au 200 km de Vernon, son 23ème, le 23 mai 2009, le visage irradié de bonheur, il obtient son 60ème aigle d’or. Cette fois, il estime avoir atteint son objectif. Ce qu’il avait dit à Luisant, au 50ème, en 2005. Ses dix aigles supplémentaires sont du bonus.
Une marche n’est jamais gagnée d’avance ; mais moi, qui ne me posais pas de question, je n’ai pas eu à me plaindre. Je pense que j’ai une force et une combativité naturelle en moi. Si j’ai parfois courbé l’échine, je n’ai jamais cédé. Maintenant, avec le recul, je me dis que je ne pouvais pas aller plus haut ! On peut appeler çà de la passion liée surtout à l’endurance. Mais c’est ce que je voulais. Tout ou rien. Le plaisir de partager ce mode de vie avec tous mes amis marcheurs, ne me fait rien regretter. Si c’était à refaire, j’occuperais à nouveau une place à part dans l’Union des Audax Français.
- Un pied dans le libre, l’autre dans la marche audax, il se démarque avec le vélo. Mais cette discipline n’a pas été son « truc », reconnaît-il. Il a seulement participé à un brevet audax de 100 km et un de 200 km. Il préfère les randonnées de ou – longue durée. Goûter la fraîcheur du matin, le calme du soir, toucher les nuages, découvrir si proches les toits, de villes en villages, selon tes désirs … Du 7 au 13 septembre 1981 : son excursion Paris – Marseille de 813 km apporte tout cela à la fois. En 1986, en vacances, son vélo beau comme un camion sous le bras, il prend le train pour Cologne (All) dans l’intention de goûter aux audax pédestres belges. Le 9 Août, ainsi, il fait le 25 km de Charles et Yvette Krings. Volages coups de pédale. Verviers, capitale de la bière chère à Jacky Servais, est à ses pieds. Le vent de Belgique ne le rend pas mélancolique (Alain Souchon). Luxembourg, Allemagne. Il participe au 150 km (ou trente heures) de Dillingen sous la houlette de l’italien Bruno Marcon les 16 et 17. Infatigable, taillé dans un roc indestructible, il redescendra sur Paris, à 620 km, via Metz (en vélo), dès le jour suivant. En août 1987, il fuguera au Mont St-Michel (310 km) suivi d’un 25 km marche à Grâce-Uzel.
- Son compteur à la natation s’arrête à 20 aigles d’or. Rappel de l’extrait du règlement des brevets Audax nageurs : l’aigle d’or récompense le titulaire des brevets de 1, 2, 3, 4 et 6 km effectués dans les délais respectifs de 0H35, 1H10, 1H45, 2H20 et 3h30. Totalisant 105 brevets, soit cinq supplémentaires (4 de 6 km et l de 2 km), Baudouin a donc accompli 346 kilomètres à la nage.
Tant qu’il n’y a pas d’eau dans une piscine, on peut toujours faire croire que l’on sait nager. Ce n’est pas son cas, pour peu que l’eau soit là. Incroyablement réservé, qui imaginerait une telle énergie ? C’est simple, le lundi, il se réveille en nageant, en se disant qu’il a suffisamment récupéré de ses efforts produits le week-end en marchant. L’idée même de sagesse ne semble pas devoir le concerner.
- Très vite, il sent sa passion grandir pour les grandes expéditions. C’est très fort. Dès 1982, il inclut dans son calendrier, des flèches et des randonnées de longue durée. L’audax est une école magnifique. Marchons chers amis, marchons. Le temps qui nous fuit nous y convie. Profitons de la vie autant que nous pouvons.
Il enchaîne les périples, tout en continuant entre temps, les audax longue distance, ainsi que la natation. Du 5 au 9.09.1982 Paris-Londres : 270 km. 22 au 26.08.1983 St-Turquoit-Suze la Rousse (tour des côtes du Rhône) : 290 km. 15 au 23.07.1985 Paris-Verviers (B) : 430 km. 1er au 8.5.1986 Paris-Colmar : 520 km. 17 au 21.07.1986 Flèche des Abbayes (B) : 310 km. 1er au 5.11.1986 Tongres-Verviers : 281 km. 26 au 31.12.1986 Grenoble-St-Cezaire/Siagne (Alpes Maritimes) : 303 km. 29.06 au 3.07.1987 Nancy-Auderghem (B) : 331 km. 20 au 23.05.1988 la grande classique Paris-Tubize (B) : 285 km.
Puis, ses rêves s’ouvrent sur le Sahara. L’obsession de sa vie. Du 8 janvier au 25 Mars 89, soit 3.800 km en deux mois et demi de marche, Baudouin se lance sur les pas de René Caillié.
Comme à l’époque le rapporte Jean-Marie Burton dans la revue : Un jour, Baudouin entend parler que Jean-Gilles Boussiquet, champion du monde de course à pied de grand fond des années 80 et 90, recordman des 24 heures avec 272,642 km en 1981, cherche un compagnon pour effectuer le trajet inverse de René Caillé. La photo de Joël Leroy, un témoin qui les rencontra Balise 25, est publiée à cette occasion. En fait, devait déclarer Jean-Gilles, Caillé avait pris plus à l’est. Mais il était impossible de suivre cette voie à pied.
Ainsi, leur parcours va s’échelonner de Tombouctou, espèce de triangle renfermant sept mosquées, à travers le Mali, l’Algérie, dont le redoutable désert du Tanezrouft, le Tafiladet, par les cols de l’Atlas le Maroc (Tanger) jusqu’à Pont L’Abbé d’Arnoult près de Saintes. C’est dans ce village que repose le Second Européen parvenu à pénétrer dans la ville mystérieuse de Tombouctou et à en être revenu (le 28 avril 1828). Le major anglais Laing qui l’avait précédé a été assassiné lors de son départ. La capitale intellectuelle de l’Islam est régulièrement visitée par les caravanes venant du Maghreb, transportant dans les deux sens le sel, ressource indispensable.
La vie du désert : les caravanes de chameaux des Touaregs, le précieux lait de chamelle qui vous fait reprendre quelques forces, la chaleur du jour et le froid nocturne, la nourriture assaisonnée au sable, le bruit rythmé des pas sur le sable … Cette grande aventure nomadisée vit sa réussite en un temps canon.
Sac à dos, ils tirent une carriole de ravitaillement acheté chez des marchands, quand il y en a ! Celle-ci, les pneus hors d’usage, plus tard devra être abandonnée. Sans GPS, ni téléphone satellite, de rares puits qu’il ne faut pas rater, la traversée du Tanezrouft (Pays de la soif), horrible désert de cailloux noirs, est éprouvante. L’eau parfois si amère, imbuvable, achoppant sa soif de respirer librement. Il dormit à la belle étoile à même le sable, ne dépliant pas sa tente de campeur. Au réveil, scorpion, serpent … ont laissé leurs traces sur le sable. Après avoir passé le pire, admiratif du désert aux dunes harmonieuses fabuleuses, il vécu avec le sentiment de déconnecter de la réalité, sans angoisse, échappant au vent de « sable » qui égare l’intrus.
Il ne connaît pas l’ennui. A nouveau attiré par la Belgique, la même année, il en fait rapidement le tour entre le 7 et le 20 octobre 1989 (860 km). 1990 : Temse-Diest (270 km) et Roubaix-Verviers (310 km) sont arpentés. Sur place, il participe à des marches euraudax belges. Récompense double. Cette pratique reprise depuis par des audacieux, satisfait pleinement ses appétits. La retraite venue, il multiplie les ville à ville, s’arrangeant chaque fois d’être au départ d’un brevet de 100 ou 150 km. Du 8 au 12.04.1991 Livry-Gargan-Nancy : 330 km. Aller-retour Paris-Guéret (Creuse) du 22.04 au 4.05.1991, une flèche de 705 km.
On veut tout changer, mais surtout, on veut continuer à vivre comme avant. Alors, comme on va tous mourir … Animé par un appel spirituel, le 25 juillet 1992, il part en pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle. Aux 1583 km, il ajoute 337 km, descendant jusqu’à Notre Dame de Fatima (Portugal) qu’il atteint le 29 août.
1993, d’un courage à toute épreuve, hormis des marches audax hebdomadaires qu’il s’octroie en toute sérénité, du 5 au 9 juillet, il avale Nassigny (Allier) – Panissières (Loire) : 284 km. Et du 6 au 27 décembre Paris-Brest-Paris (1261 km) ; l’aller avec Marie-Claude Chirat, le retour avec Henri Legrand avec lequel il a énormément bourlingué.
1994 : du 14 au 29 décembre, Paris-St-Cézaire sur Siagne (à mi-chemin entre les plages et les stations de ski de la Côte d’Azur) : 870 km.
2000 : le millénaire. C’est évident, la vie nomade attire Baudouin. A peine est-il revenu d’Ispra (Italie) le 14 juillet, un périple de 860 km, qu’il ne maîtrise plus son impatience de réaliser son rêve de se rendre à Jérusalem à pied. Le 11 septembre 2000, prêt à surmonter les épreuves les plus dures, bien préparé physiquement et mentalement, le voilà parti à Paris, son point de départ. Ce n’est pas l’exploit sportif qu’il recherche mais plutôt le besoin de satisfaire une quête intérieure, l’envie de découvrir l’inconnu, d’autres cultures, d’échanger des points de vue avec Omar, Mohamed, Assam … Son exploration se déroule normalement jusqu’à l’approche de Noël. Il ne se demande jamais s’il va tenir et donne tout. Le risque (dont il a le goût) d’être harcelé par des brigands ne lui effleure pas l’esprit. A Rome, il a l’extrême privilège de voir le Pape Jean-Paul II. Obliquant à l’est, le contour de la Mer Egée, chantée pour ses Iles ensoleillées, ses rivages sans nuages, le fait traverser la Grèce et entrer en Turquie. Paysages de rêve vantés depuis l’antiquité. C’était trop beau ! Hélas, accidenté par une voiture, rendu à Istanbul, son rapatriement par la voie des airs s’impose. Son compteur enregistre 3243 km
Poursuivant sa course effrénée, le 4.12.2006, il part en Ethiopie. Un Pays montagneux différent de tout autre. A plus de 2500 mètres d’altitude, aux prises avec des chemins abrupts, il va marcher jusqu’au 22 Décembre, parcourant 300 km. Parti d’Addis-Abéba où, en 1910, est né le grand explorateur Wilfred Thésiger, le premier qui parvint à pénétrer clandestinement en Arabie, encore inconnue des Occidentaux il y a à peine plus d’un demi-siècle, il pose ses pieds à Mékélé. Il s’émerveille des Hauts plateaux. Le chaleureux accueil de la population mêlant principalement, Abyssins et Galla, pauvre, mais très riche à l’intérieur, l’enthousiasme. Un bonheur intense l’accapare, comme lors de chacune de ses expéditions en Afrique du Nord. Il a encore au palais, le goût du thé à la menthe qu’il prenait avec quatre sucres, en guise d’apéritif, de dattes fraîches. En bon Africaniste qu’il se complait d’être devenu, il va y retourner.
Le rituel, le 8.12 2007, il dévore le dur 150 km téléthon de Labatut (Landes). Un brevet audax à cause humanitaire fort bien organisé. Malgré la pluie battante et froide, les participants en ont un excellent souvenir. Une bonne nuit de repos. Sitôt venu le jour, il est prêt à partir et se met en route. Un petit crochet de 535 km. Il fête Noël à Perpignan.
Incassable. Du 19 janvier au 2 février 2008, il file sans fin vers son destin et met le cap, à nouveau, sur l’Ethiopie. Rendez-vous : Addis-Abéba, de sa connaissance. En direction de la Somalie, plus à l’est, l’itinéraire montagneux de 300 km, s’échappe vers Lalibela, Dallol, Erta Ale et Harar. Celui-ci est exigeant, mais accessible pour ses mollets encore d’attaque.
Eminemment passionnantes et marquantes, obscures jusqu’à maintenant pour nous, méconnues du monde, les aventures de l’Ami Baudouin s’arrêtent ici. En attendant une suite … Car à 79 ans, dans la valise du marcheur qui conserve un souvenir impérissable de ces années, il y a toujours ce besoin humain de s’accrocher aux choses, de ne pas lâcher prise. De tout cœur, c’est ce que nous lui souhaitons.
Ses trente et une années glorieuses, à travers des parcours hors normes, sans égal, que personne n’a fait à cette échelle, ni ira plus haut ; resteront à jamais dans les annales de l’Union des Audax Français. Un exemple d’humilité, de courage et de ténacité qui méritait bien le devant de la « scène » et le plus grand respect, l’espace d’un résumé.
En conclusion, je suis très heureux d’avoir eu la chance de relater tout ce que l’imprévisible et infatigable Ami Baudouin a réalisé. De son côté, l’Union des Audax Français, créée en 1904 par Henri Desgrange, fondateur du Tour de France cycliste, ne peut que s’en féliciter.
Les pratiquants des différentes disciplines que je rencontre sont extrêmement intéressés par ce que Baudouin a fait. Leur curiosité est grande. De même, leur impatience de tout connaître sur ses périples. A leurs yeux, cela a valeur d’encouragement. Même si l’allure bouillonnante de ligne de vie et de désirs du phénomène Baudouin Rossius, se doit d’être calquée avec domination et mesure !

René Vasseur

BaudouinRossius
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